vendredi 30 janvier 2009

Episode 6 : La pluie et le delta des émotions


Le temps s’est soudainement radoucit. La neige laisse place à la pluie qui opère un dégel fulgurant. Trois jours que les trombes d’eau s’affalent sur la région. A l’image du mistral provençal ou du maramu polynésien, les éléments se déchainent selon un cycle de trois, six ou neuf jours successifs, comme si Eole dans sa distraction avait avalé une horloge. Lylou profite de ce temps suspendu pour lire bien calfeutrée dans sa chambre. Il semble qu’électricité et synchronicité soient dans l’air car la petite aventurière, en ouvrant au hasard un livre prêté par papi Gilbert, tombe sur un passage où il est question de la pluie et de l’ambiance si particulière qu’elle sème dans son sillage.


Après la pluie, vient le temps du silence, le temps des résonances. L’esprit remonte aux nues et plane dans l’air électrique de l’après. Des parfums s’y épanchent en brouillard enveloppant cet instant qui nous traverse. Les souvenirs accourent, pur-sangs sortis d’un conte que l’on connaît par cœur où ce bien être de notre âme purifiée va se désaltérer sans jamais faillir. L’envie de cesser toute course nous submerge comme une lourde vague descendue des épais nuages. Repartir d’un bon pied, voilà la petite graine qui germe dans notre esprit fraîchement purifié.


Eviter les pièges et les erreurs qui nous ont blessés et se promettre d’écouter les signes alliés. Renouer avec des êtres d’envergure. S’abreuver à d’autres sources que ces robinets sans âmes. Se réapproprier sa solitude dans ce monde qui nous cambriole à chaque instant en toute impunité. Vivre comme on respire, sans crainte d’être pollué. Ecarter les bras de nos sens avides de sensations. Respirer l’air qui nous entoure, qui nous pénètre, en être conscient et faire le choix d’accepter ou non. Caresser les nuages de nos paumes rappeuses, altérées d’avoir pris tant de futilités à bras le corps. Se rafraîchir les orteils dans les flaques, jeter ses chaussures aux orties et plonger ses racines au cœur de notre terre-mère. Se dévêtir, comme l’enfant que nous fûmes un jour un seul, vulnérable et pur. Frissonner de cet état, de ce souvenir, de ce futur qui nous attend de pied ferme. Reconnaître qu’il est notre devenir sans rugir, sans rougir.


Enfin chercher un endroit à l’abri, un petit nid douillet comme celui des oiseaux. S’y réchauffer, s’y sentir renaître, s’y ressourcer, et sa guitare sur les genoux y chanter une mélopée de la nuit des temps. Ouvrir la porte et les fenêtres grandes ouvertes face à ce désert qui n’attend que nous pour creuser les sources qui le rendront verdoyant. Faire circuler l’air d’après la pluie sur ses dunes frissonnantes d’impatience. Cet air qui nous raconte bien des histoires, des aventures d’hommes et de femmes que l’on a très bien connus. Des êtres qui nous ont guidés au delà de ce que nous étions et qui ont su faire refleurir les forêts brûlées qui nous dévastaient. Et puis bien sûr, les vauriens ressurgissent des profondeurs de la mémoire avec leur cortège de douleurs trop subtiles à panser. Toute cette foule apparaît puis disparaît à travers ce flottement comme une onde qui s’évanouit dans le lac de nos sensibilités pour résonner sur les terres de nos chairs.


Après la pluie, la terre respire tout ce passé que nous ne sommes déjà plus et qui sait si bien nous emprisonner dans nos instants de faiblesses. Et puis ce parfum d’avenir indéfinissable, ce futur dans le lequel on va se plonger le cœur plein d’espoir mêlé d’appréhension. Pas encore tout de suite, dans quelques instants, juste le temps de savourer la vie au présent. Cette vie qui s’offre à nous - sans fard, les cheveux au vent - mouillée par l’orage qui la secoue et la rend belle. Cette existence si savoureuse… après la pluie.


Bien qu’elle ne comprenne pas toutes les images qu’elle vient de lire, Lylou, se sent transportée. Saisissant son pinceau et ses peintures, inondée par sa sensibilité, elle libère le torrent bondissant des émotions sur sa page. Un surprenant delta se dessine sous ses yeux.

jeudi 22 janvier 2009

Episode 5 : Synchronies & Bergamophones



http://video.google.com/videoplay?docid=-3218823459849789101


Tout le long du lit de Lylou, les livres en ligne s’étirent. Sa petite forteresse la protège du monde extérieur qui ne lui veut aucun mal, bien au contraire. Il apprécie tant les enfants toujours prêts à mener de folles aventures. Mais malgré tout, incitée par le froid pénétrant de l’hiver, la fillette se blottit sous sa couette derrière les murs de livres qui l’encerclent d’évasions passées et futures. Afin de ne pas trop gamberger à propos des pages manuscrites découvertes, Lylou se plonge dans Croc Blanc choisi à l’aveuglette. A sa grande surprise, le hasard la transporte dans le monde du froid, exactement les circonstances de ces vacances de fin d’année et le même décor qu’une étincelle sur la neige. Elle parle de cette curieuse coïncidence à papi Gilbert qui lui explique :

« Cela s’appelle la synchronie. Ton esprit perçoit que des situations se font écho dans ton quotidien. Apparemment totalement indépendantes, elles convergent pour te transmettre un message. Peut-être veulent-elles simplement te montrer que la vie est bien faite. Ce que tu me dis là est une belle découverte mais sache que la synchronie peut aussi s’exercer dans un sens préventif. Je vais te raconter un secret que je n’ai jamais révélé, pas même à ta grand-mère.


A l’âge de vingt deux ans, je devais me rendre de Culmont-Chalindrey à Nancy par le train. C’était un rendez vous très important car là-bas un entretien devait décider de mon avenir. Mon père Louis avait promis à un de ses anciens amis - directeur général d’une usine de pièces de voiture – que j‘étais très intéressé par une place de chef d’équipe et que je me rendrais là-bas pour postuler de vive voix. Mais moi ça ne me disait rien du tout. Il disait qu’il avait fait ça pour m’aider, que sa parole était en jeu et qu’il fallait que j’y aille absolument. Les parents sont comme ça, ils régissent notre vie, n’arrêtent pas d’imposer leurs choix sans même nous demander notre avis. Crois-tu que cela s’arrête lorsque nous sommes adultes ? Pas du tout. Ils persistent de plus belle. Tout au long de ma vie, je n’ai pas cessé de dire à mon père qu’il fallait qu’il me fiche la paix. Mais même à quatre vingt-dix ans, il a continué à tout régir de son fauteuil. Les parents ont une telle emprise sur nous que même impotents, ils nous acculent dans nos retranchements alors que physiquement nous sommes bien plus vaillants qu’eux. J’en ai beaucoup souffert, si bien qu’avec ta mère et ses sœurs, j’ai essayé d’être un père qui ne reproduisait pas ce pénible schéma. Quand je la vois aussi épanouie aujourd’hui et lorsque je t’observe ma chère Lylou, je me dis que j’ai bien fait de ne pas copier le vieux Louis. Votre rayonnement est la plus belle des récompenses. Bref, je reprends mon histoire.


Ainsi pour me rendre à l’entretien, je me lève à cinq heures du matin pour aller à la gare. Mais la voiture ne démarre pas. « Ça commence bien ! » me dis-je. Après plusieurs essais infructueux, je sollicite le voisin qui accepte de m’emmener jusqu’à Culmont-Chalindrey. Arrivé à la gare, on m’annonce que le train de la grande ligne Nice -Metz est en retard de deux heures. Je sens comme une synchronie hostile à une entreprise qui déjà ne m’enchante guère. J’aurais pu rentrer et dire à mon père que les éléments s’étaient ligués contre cette embauche mais j’en aurais entendu parler pendant vingt ans minimum et je décidai d’attendre. Je crois que j’étais assez curieux de voir jusqu’où pouvaient aller les circonstances pour me dévier de mon but. Deux heures plus tard, je m’installe seul dans un compartiment. Je commence à admirer cette campagne que je connais et sillonne par cœur depuis l’enfance. C’est tellement bizarre d’être de l’autre côté du miroir. Arrivé à Langres, une jeune fille prend place sur la banquette qui me fait face. Elle me salue puis se plonge dans un épais roman par passion de la lecture mais aussi par timidité, je crois. Le problème c’est qu’à vingt deux ans, je n’aime pas spécialement lire, ça m’est venu plus tard, et je n’ose pas parler littérature pour lier contact. Comme deux idiots qui essaient de s’ignorer, l’un plonge la tête dans son bouquin et l’autre les yeux sur la campagne. Elle est si jolie pourtant. A aucun moment je n’arrive à dire quoi que ce soit pour lui faire lever les yeux sur moi. Nous débarquons à Nancy en nous adressant un triste petit au revoir.


Je me presse car je suis évidemment en retard. Je n’en mène pas large car mon destin est en voie de basculer à cause d’une promesse paternelle un peu hâtive. Inversement, je ne sais pas trop quoi en penser. Ce rendez vous avec ma destinée suscite en moi appréhension et curiosité. Les entretiens se sont succédé durant toute la matinée et le mien termine le défilé juste avant midi. Je rentre dans le bureau du PDG qui m’accueille chaleureusement au nom du bon souvenir qu’il a gardé de Louis la tête dure ce qui m’amuse et me navre à la fois car c’est justement pour cette raison que je me trouve dans son bureau.


- «En toute franchise, jeune homme êtes-vous vraiment intéressé par ce poste ? » Mon hésitation et mon sourire crispé répondent malgré moi. « Soyez soulagé, j’ai bien connu votre père et je sais quelle forte personnalité il impose à son entourage. Mais voyez vous c’est ça aussi qui le rend attachant. « Quand on ne vit pas avec lui tous les jours » pensais-je. Le poste pour lequel vous êtes ici est déjà pourvu depuis hier car un accident dans un des mes ateliers m’a obligé à trouver un remplaçant au plus vite. Ce matin, les entretiens concernent un poste vraiment différent. Avant que je vous explique quoi que ce soit, dites-moi en toute franchise dans quel environnement vous souhaiteriez travailler ! »

- Pour être franc, je viens de la campagne et j’aimerais y rester. Un métier en plein air me conviendrait parfaitement. J’apprécie la ville pour sa diversité mais passés quelques jours, je m’y sens oppressé. J’aime être seul. Avoir une tâche à réaliser et en rendre compte au final me satisferait tout à fait.

- Et bien jeune homme, je pourrais avoir ce qu’il vous faut. Avez-vous le permis de conduire ?

- Bien sûr, depuis quatre ans déjà sans parler de mon enfance passée aux volants de divers engins agricoles.

- Mon cher Gilbert, vous êtes embauché ! Vous commencez demain à huit heures. Vous irez à l’hôtel ce soir et vous passerez cela en note de frais. Vous êtes désormais, si vous êtes d’accord bien sûr, représentant de commerce pour les tourne-disques Bergamophone.

- ??? Votre usine ne fabrique-t-elle pas des voitures ?

- Si bien sûr, mais vous êtes embauché dans l’entreprise de mon beau-frère qui m’a chargé de lui trouver un jeune prêt à sillonner les campagnes pour implanter son tout nouveau produit. Il ne vous reste plus qu’à signer en bas à droite.


Voici comment ma chère petite-fille je suis devenu Monsieur tourne-disque dans tout le quart Nord-est du pays. Je pensais aller m’enfermer, à contre cœur, dans un atelier sombre d’une grande ville et je me retrouve libre comme l’air au volant d’une voiture à distribuer des Bergamophone. La synchronie m’indiquait que le poste de chef d’atelier était perdu (à travers les épisodes de la panne et du train en retard) mais elle agissait de manière souterraine pour m’offrir un poste sur mesure qui me rendrait heureux, sans compter que je fus amené par la suite à revoir la jeune fille du compartiment… Mais cela est une autre histoire que je te conterai une autre fois. Quoiqu’il en soit, écoute mon conseil. Ouvre les yeux, les oreilles et fais confiance à ta sensibilité car l’harmonie de la vie te parle. La synchronie œuvre pour toi si tu sais la remarquer. Certains attribuent cette magie à Dieu, ou à une force supérieure qui nous gouverne. D’autres n’y voient qu’heureux hasards… Tu te fais l’idée que tu veux et tu as même le droit d’en changer selon ta réflexion ou ton humeur. Mais crois-moi, ne sois pas sourde aux signes qui te parlent. »


Effectivement, depuis que la vieille maîtresse est morte, Lylou a l’impression que son ciel ombrageux a laissé place à une vie ensoleillée s’épanouissant entre le maître d’école, la lecture, l’écriture et toutes les découvertes qui en découlent. Une synchronie à grande échelle dans son petit univers de jeune fille.


vendredi 16 janvier 2009

Episode 4 : L'ETINCELLE SUR LA NEIGE


Munie de son cahier rouge, Lylou écrit jour après jour sa vie réelle et imaginaire. Ce n’est pas un journal, il n’y a pas vraiment d’histoire. C’est le méli mélo des pensées qui la traversent. Comme elle pianoterait sur un clavier sans connaître les notes juste pour le plaisir des sons, Lylou lance des mots sur les pages blanches qui l’invitent à se confier. Le prof a bien dit que le livre, le cahier ne sont pas sacrés. Se tromper, barrer, raturer, recommencer… Toutes ces imperfections sont plus riches que des pages bien écrites sans saveur, sans surprise… Il a montré à ses élèves les brouillons d’écrivains célèbres où le texte est quasiment illisible tellement il est remanié. C’est ça la création ! Trois pas en avant, deux pas en arrière. « C’est une curieuse chorégraphie mais elle m’enivre et j’aime ça » soliloque la fillette.


Pour changer d’univers, Lylou ouvre le fameux livre choisi à l’aveuglette dans la malle. En le feuilletant, elle découvre à l’intérieur une photographie et quelques pages manuscrites. L’image, étrange et naturelle à la fois, présente des sapins sous la neige. On dirait presque des silhouettes humaines. Des pèlerins harassés par un trop long voyage. La photo, dont rien ne figure au dos hypnotise Lylou plusieurs minutes, comme si son imagination lisait sur le cliché une histoire réellement écrite. Puis enfin les feuillets manuscrits attisent sa curiosité. Elle les lit avec empressement.


« Alors l’ancien, combien d’années se sont écoulées depuis notre première rencontre ? Seize ou bien dix-sept ? Cela me fait toujours sourire rétrospectivement de repenser que je t’avais pris pour un clochard des bois. T’avais bonne mine avec tes dents en moins et ta peau fripée comme l’écorce. T’aurais refilé des cauchemars à ma petite sœur. Mais du haut de mes dix-huit ans, j’avais le goût de l’audace et de l’inconnu. Te rappelles-tu la première phrase que tu m’as adressée ? Non ? Tu m’as dit « Je vais te faire un cadeau. Un précieux cadeau. » J’avais de quoi douter à la vue de tes vêtements usés et de ton air défait. Et pourtant, tu m’as offert le plus beau des présents, celui qui a libéré tout mon être, celui que je chéris encore aujourd’hui à l’aube de mes vingt-huit ans.


Ta piteuse physionomie rayonnait quand même des ondes positives que j’ai inconsciemment ressenties. Je me suis assis sur le banc finement moussu devant ta vieille cabane. La neige tapissait la nature alentour mais ta table était étrangement sèche. « Je vais te faire un cadeau, je te demande d’écrire ! » m’as-tu lancé en me montrant la craie blanche et l’immense ardoise posée contre le mur de rondins. « Là t’es gonflé » me suis-je dit intérieurement. Tu me proposes un cadeau et c’est moi qui dois produire ? Aujourd’hui je comprends mieux le fond des choses mais à l’époque, j’y flairais une entourloupe. « Qu’as-tu à y perdre ? » m’as-tu rétorqué. Rien effectivement, et j’y ai gagné une vie passionnante.


Eh Philippe, avais-tu connu la passion avant cela ? Non évidemment ! Tu ne l’imaginais même pas. Bien sûr t’avais le mot à ton vocabulaire. A dix-huit ans, tu l’utilisais même un peu trop. Mais t’en avais pas l’expérience jusqu’à cette fameuse rencontre dans la forêt. Jusqu’à ce précieux cadeau : « Je te demande d’écrire ! » La craie était-elle magique, l’ardoise recouverte d’inspiration divine ? Va savoir ! N’empêche que ma main gauche est passée adroite dans l’art d’écrire. Je voyais les mots se déposer sous mes yeux. Je les reconnaissais, les lisais à voix haute dans ma tête mais je ne les comprenais pas. Ils avaient les vertus magiques de transporter l’écrivain. Tu sais maintenant que l’imagination écrit les mots qui eux-mêmes transportent l’imaginaire. Un mystérieux mouvement de convection circule de la main vers la vue pour se faufiler dans l’esprit alimentant en énergie le bras qui termine le cycle et ainsi de suite.


Depuis 17 ans rien n’a changé. Toujours cette même sensation. Étonnante, grisante, accoutumante. Ce n’est pas un cadeau que j’ai reçu de jour de décembre 1991, c’est un moyen de locomotion. Un tapis volant qui se pilote à la pointe de la plume. Afin que la magie ne se dissipe pas, dès le lendemain, j’ai répété le rituel de la table déserte, de la bougie qui clapote, de l’ardoise offerte à la caresse de la craie. Je me suis présenté à la feuille et à la plume le soir où l’ardoise s’est brisée. J’ai ressenti la peur d’être abandonné par l’écriture et me suis empressé d’implorer le ciel sur ma feuille pour qu’il ne me ferme pas la porte au nez. Mon tapis s’est envolé ce soir-là comme les précédents et j’ai compris que le rituel résidait dans le rendez vous et dans l’intention, non dans le support et la circonstance. Je pourrais écrire au crayon de papier sur une énorme pierre, mon voyage n’en serait pas moins exaltant, au contraire, il serait probablement source de panoramas insoupçonnés.


Chaque soir, mon écriture déclenche une avalanche de plaisirs et de bouleversements dans mon quotidien, ma routine hebdomadaire. Je m’assois à ma table, un breuvage chaud posé face à mon cahier et comme sur la terrasse de la cabane du vieil homme, les mots se déposent tels les flocons sur la page. A chaque fois, l’environnement disparaît et n’existent plus que les mots qui tracent leur incroyable voyage. La seule chose que je n’ai pas retrouvée, c’est cette attachante vision du vieil homme à la mine désormais joufflue, à la barbe blanche bien brossée, à la veste rouge bordée de coton blanc et aux bottes noires reluisantes.


« Philippe mon instituteur aurait-il rencontré cet homme qui lui a offert l’étincelle d’écrire ? A-t-il pris cette énigmatique photographie ? Je veux en avoir le cœur net, mais pour le questionner, je dois attendre la rentrée des classes car il a quitté le village pour se rendre dans sa famille pour les fêtes de fin d’année. » Ainsi raisonne Lylou en ouvrant son livre à la première page : « Croc Blanc » Jack London.

vendredi 9 janvier 2009

Episode 3 : L'aventurière dans sa forteresse


Chaque jour d’école est rythmé par des lectures choisies de romans et par les rédactions parfois très inspirées des élèves. On plane, on rêve, on rit dans une atmosphère où chacun essaie de donner le meilleur de lui-même. Une émulation créatrice unit les enfants. Chacun étoffe son langage imaginaire. Les grands lisent leurs histoires aux plus petits qui ensuite s’essaient à déchiffrer quelques autres lignes à leur tour. Il règne une incroyable gourmandise d’aventure et les exercices sont autant de défis à relever. Bien évidemment, les enfants supplient leur maître de leur prêter les romans présentés en classe.


« A votre âge, je suis tombé dans les livres grâce à un de mes professeurs qui m’a entrouvert les portes de la lecture. Mais il m’a été parfois bien difficile de me procurer des romans. Je me suis toujours promis qu’une fois instituteur, je prêterai mes livres sans jamais compter ni leur nombre, ni leurs jours d’escapade. La malle au fond de la classe est faite pour ça. Elle contient des ouvrages écrits pour vous. Vous les prenez quand cela vous chante, vous les lisez, vous passez du temps avec eux, vous les relisez, vous ne les terminez pas si cela vous ennuie… Je ne surveillerai pas ce va-et-vient. Je vous fais confiance. Cela doit être un plaisir. Le travail réalisé en classe peut suffire si vous ne désirez pas lire à la maison. Vous êtes libres. » Mais c’était sans compter le suspens semé chaque jour par les lectures collectives et les rédactions inventées des élèves. « Certains se sont approchés de très prêt de la véritable suite du roman, mais je vous laisse découvrir cela par vous-même, si vous en avez la curiosité… »


Les livres abordés en classe suivaient un charmant petit circuit, traversant le village de maisonnée en maisonnée. Comme beaucoup d’enfants, Lylou prend goût à ces lectures aventureuses. Mais, la journée, elle ne peut rester enfermée. Elle décide d’allier son nouveau plaisir à celui de la nature. Elle part en forêt, dans les prés, sur les bords de la rivière pour dévorer le livre du moment. Elle se rend compte avec les jours qui passent que chaque lieu donne une couleur particulière à l’histoire. Alors pour le plaisir, elle relit ses passages préférés à différents endroits pour le simple jeu des sensations… En quelques semaines, Lylou se met à dévorer tout ce qui passe sous sa main. Elle ressort les livres des greniers, empreinte quelques volumes à papi Paul ravi de cette incroyable métamorphose. Elle lit tout ce qui se trouve sur sa route. Les désirs d’enfant sont compulsifs et il ne faut surtout pas les raisonner.


Si elle aime lire bercée par le chant de la nature, Lylou savoure tout autant un bon livre sous une couette bien chaude le soir avant de s’endormir. Sa chambre dans laquelle elle ne passait auparavant que très peu de temps va devenir son petit temple de la lecture où elle puise les images nourrissant son imaginaire. Sa petite bibliothèque personnelle va tellement s’étoffer que les étagères n’y suffisent plus. Les livres s’alignent peu à peu le long des plinthes. S’érige alors, autour du lit, une forteresse apte à protéger la petite princesse et son royaume secret.


Un soir après la classe le maître lui offre un superbe cahier rouge relié sur lequel il lui conseille de développer son imaginaire si original. « C’est mon cadeau de noël pour que durant le temps libre des vacances d’hiver tu puisses écrire ce qui te passe par la tête. Ce n’est pas pour que tu me montres ce que tu vas y noter mais pour que tu aies autant de plaisir à ouvrir ton livre que celui des auteurs que tu dévores. » Émue aux larmes, elle remercie à peine en se précipitant vers la porte. Mais avant de quitter la salle, comme un réflexe, elle plonge sa main au fond de la malle et dépose l’ouvrage au fond de son sac. Ce qu’elle va trouver à l’intérieur va lui offrir un autre cadeau de noël d’une toute autre sorte.

mardi 30 décembre 2008

Episode 2 : L'école de l'aventure


Remplacer la vieille bique n’est assurément pas une mince affaire car il faut aux instances administratives une semaine entière avant de diligenter la bonne personne. Les enfants durant ce temps culpabilisent entre un sentiment de tristesse car la vieille est tout de même morte (peut être auraient-ils préféré un accident grave dont elle ne se serait jamais vraiment remise) et une joie euphorique car elle ne reviendra plus les martyriser. Le super-bonus réside évidemment dans cette semaine d’école buissonnière imposée. « Profitez bien les enfants, parce que la reprise va vous faire drôle !» claironne Madame Girardot, la voisine rabat-joie. « De toute façon, cela ne peut pas être pire que la Mère Bernard ! » rétorque Lylou avec assurance. Malheureusement, le temps n’est pas au beau fixe sur l’Est de la France. Lylou se voit contrainte de rester enfermée deux journées entières tellement il pleut. Elle en profite pour ressortir une poussiéreuse boîte de peinture. Laissant son esprit divaguer, elle peint sans réfléchir, comme animée par une force créatrice extérieure. Son dessin terminé, elle frétille de satisfaction. « Cela ne ressemble à rien mais c’est exactement ce que je voulais faire ! » dit-elle ravie en le punaisant au dessus de sa table de nuit.

Le lundi de la reprise arrive et tous les enfants du village se dirigent vers l’école. Ils sont dans leurs petits souliers car la personne qui est désormais nommée régnera sur leur quotidien scolaire durant plusieurs années. « Pourvu que le tirage au sort nous soient favorable » chuchotent les élèves en entrant dans la cour. Et là, tel un mirage dans le désert, telle une apparition divine, les gamins aperçoivent un jeune homme fièrement campé sur ses deux jambes. Les bras croisés, il observe en souriant l’arrivée de ses nouveaux élèves. Les plus sérieux se dirigent vers lui pour le saluer et se rangent automatiquement comme les semaines précédentes. Un peu surpris et amusé, il les laisse faire sans dire un mot. Quelques grands, plus rebelles, s’amusent au fond de la cour et attendent l’appel du professeur. A la physionomie du personnage, ils savent déjà que la famine pédagogique du temps de la vieille a laissé place à une période d’embellie dont ils n’imaginent pas encore les bienfaits.

Après avoir rassemblé ses élèves, le jeune maître d’une voix ferme mais douce les invita à prendre place à leurs pupitres habituels. « Mes chers enfants, nous connaissons tous les tristes circonstances qui m’ont amené jusqu’à vous. Il n’est pas nécessaire qu’on y revienne. Tout d’abord, je tiens à me présenter : Philippe Fontaine, votre nouvel instituteur pour cette année et toutes celles qui suivront, si Dieu me prête vie. » Il enchaîne aussitôt en faisant l’appel de toute la classe et sortant un livre du tiroir de son bureau, il se met à lire à haute voix.

Surpris, les élèves commencent à sourire. Un petit vent d’agitation trouble l’assemblée. Antoine, le grand rigolo du CM2 commence déjà à faire de petites grimaces dans le dos du maître qui, sans même se retourner, lui propose de copier 50 fois le passage qu’il est en train de lire. Cette première intervention fige la classe entière qui, calmée, se laisse dompter par la chaude voix et l’aventure naissante du récit. La lecture dure une demi-heure sans que les enfants ne s’en rendent réellement compte. Soudain la voix du professeur attaque un crescendo pour ajouter du dramatique au suspense qui se tisse depuis plusieurs minutes. Toutes les bouches sont ouvertes quand soudain il annonce : « Prenez votre cahier bleu et rédigez-moi immédiatement la suite de cette histoire ! ». Un brouhaha de frustration et de protestation enfle dans la classe. « On ne discute pas et on se met au travail tout de suite ! » Les questions des enfants commencent à fuser de toute part. « Pas de question ! Vous êtes l’auteur de ce livre et vous racontez votre histoire à votre manière ! C’est parti ! »

Pour une entrée en matière, c’est plutôt étonnant. Chaque élève, quelque soit son niveau, se met alors au travail et en quelques secondes, le silence occupe tout l’espace. Au bout d’un quart d’heure, pour relancer les plumes en suspend, l’instituteur lance : « A partir de la prochaine phrase, vous intégrez un nouveau personnage avec un animal sur l’épaule… et pas de question, au travail ! ». D’autres interventions de ce genre suivent jusqu’à ce que le maître ajoute : « Un événement climatique perturbe le déroulement de votre aventure que vous interrompez face à deux alternatives possibles… Je ramasse les cahiers dans trois minutes. »

vendredi 12 décembre 2008

Episode 1 : Lylou et la vieille maîtresse


Lylou, fille de la campagne née dans les vallons de l’Est de la France, grandit comme une petite sauvageonne. Sa famille, très appliquée à gagner le pain quotidien, la laisse libre d’occuper son temps solitaire. Elle sillonne ainsi toutes les forêts voisines, connaît chacune des sources du canton et trône fièrement parmi les branches des arbres centenaires qui l’ont prise en affection. Au village, Lylou est connue de tous et provoque ce curieux mélange d’admiration, de curiosité et de méfiance dans les yeux de la population. Une sorte de respect craintif garde les villageois à distance de la fillette, comme s’ils étaient persuadés qu’elle détenait quelques puissants pouvoirs.

Bien qu’elle soit une petite nymphe des bois, sa vie est néanmoins rythmée par l’école qu’elle n’apprécie guère. Il faudra attendre le départ de la vieille maîtresse Mme Bernard pour que Lylou se réconcilie avec le monde éducatif. Cette vieille bique d’institutrice brime les enfants parce qu’elle est malheureuse. Elle est d’autant plus méchante avec les élèves qui sont sûrs d’eux et qui rayonnent de vitalité. Derrière les culs de bouteilles qui sont censés améliorer son acuité visuelle, les petits yeux noirs de cette vieille chouette terrorisent toute la marmaille. Les parents n’en mènent pas large non plus. Certains l’ont eu comme maîtresse durant leur enfances et ont souffert jusqu’au jour de la libération : le passage dans le cycle supérieur.

Le nombre restreint d’enfants au sein de la commune impose l’instauration d’une classe unique. Depuis trois décennies, la jeunesse du village vient souffrir de concert sur les bancs de l’école primaire. Lorsqu’un enfant rentre à l’école communale, il sait qu’il se tapera la vieille durant quatre longues années, s’il n’a pas le malheur de redoubler. Comme tous ses camarades, Lylou nourrit l’espoir qu’une mort violente et rapide s’abatte sur Mme Bernard. « Il faut qu’elle crève, il faut qu’elle crève, il faut qu’elle crève… » scande régulièrement la petite fille du haut de son chêne préféré pour implorer les bons esprits : ceux qui terrassent le mal sur cette terre.


Un matin d’hiver, le rêve devient réalité, la maîtresse est morte. Tout le village s’afflige poliment bien qu’intérieurement une sorte de sentiment de justice les inonde de la tête au pied. Ceux qui ont le plus souffert disent ouvertement qu’il était temps que ça arrive. « Elle a eu de la chance de mourir dans son lit, j’aurais préféré qu’un loup lui saute à la gorge. » lâche Louis le garçon laitier. Il faut dire qu’il en avait subi des humiliations et des brimades. Tous ses camarades en avaient été témoins.

Lylou jubile à l’annonce de ce miracle. « Non seulement la vieille est morte mais en plus y’a pas classe. Merci mon dieu de ce sublime cadeau. Je ne t’en remercierai jamais assez ! ». La fillette danse dans la campagne givrée de ce mémorable blanc matin. Elle chante sa joie, cette nouvelle liberté dont elle avait rêvée et qu’elle a encore du mal à réaliser. L’hiver dans ses poumons et l’été dans son cœur font bouillonner tout son être. Elle sent que sa vie amorce un nouveau virage. A juste titre d’ailleurs car son retour en classe va lui offrir le plus beau des cadeaux ; un présent qu’elle chérira tout au long de sa vie.


vendredi 5 décembre 2008

Bienvenue dans le feuilleton artistique de Sorg

Vous êtes en train de jeter un coup d'oeil par la lucarne, la petite fenêtre d'un laboratoire où l'alchimie des arts bouillonne continuellement. Approchez et écoutez la transformation du plomb en or ! Sentez-vous les parfums étranges et envoûtants qui s'en dégagent ? Asseyez-vous et goûtez à cette surprenante cuisine qui n'attend que ses invités dont vous faites partie ! Restez quelques minutes et venez toucher du doigt l'existence d'un personnage nommé SORG.