vendredi 30 janvier 2009

Episode 6 : La pluie et le delta des émotions


Le temps s’est soudainement radoucit. La neige laisse place à la pluie qui opère un dégel fulgurant. Trois jours que les trombes d’eau s’affalent sur la région. A l’image du mistral provençal ou du maramu polynésien, les éléments se déchainent selon un cycle de trois, six ou neuf jours successifs, comme si Eole dans sa distraction avait avalé une horloge. Lylou profite de ce temps suspendu pour lire bien calfeutrée dans sa chambre. Il semble qu’électricité et synchronicité soient dans l’air car la petite aventurière, en ouvrant au hasard un livre prêté par papi Gilbert, tombe sur un passage où il est question de la pluie et de l’ambiance si particulière qu’elle sème dans son sillage.


Après la pluie, vient le temps du silence, le temps des résonances. L’esprit remonte aux nues et plane dans l’air électrique de l’après. Des parfums s’y épanchent en brouillard enveloppant cet instant qui nous traverse. Les souvenirs accourent, pur-sangs sortis d’un conte que l’on connaît par cœur où ce bien être de notre âme purifiée va se désaltérer sans jamais faillir. L’envie de cesser toute course nous submerge comme une lourde vague descendue des épais nuages. Repartir d’un bon pied, voilà la petite graine qui germe dans notre esprit fraîchement purifié.


Eviter les pièges et les erreurs qui nous ont blessés et se promettre d’écouter les signes alliés. Renouer avec des êtres d’envergure. S’abreuver à d’autres sources que ces robinets sans âmes. Se réapproprier sa solitude dans ce monde qui nous cambriole à chaque instant en toute impunité. Vivre comme on respire, sans crainte d’être pollué. Ecarter les bras de nos sens avides de sensations. Respirer l’air qui nous entoure, qui nous pénètre, en être conscient et faire le choix d’accepter ou non. Caresser les nuages de nos paumes rappeuses, altérées d’avoir pris tant de futilités à bras le corps. Se rafraîchir les orteils dans les flaques, jeter ses chaussures aux orties et plonger ses racines au cœur de notre terre-mère. Se dévêtir, comme l’enfant que nous fûmes un jour un seul, vulnérable et pur. Frissonner de cet état, de ce souvenir, de ce futur qui nous attend de pied ferme. Reconnaître qu’il est notre devenir sans rugir, sans rougir.


Enfin chercher un endroit à l’abri, un petit nid douillet comme celui des oiseaux. S’y réchauffer, s’y sentir renaître, s’y ressourcer, et sa guitare sur les genoux y chanter une mélopée de la nuit des temps. Ouvrir la porte et les fenêtres grandes ouvertes face à ce désert qui n’attend que nous pour creuser les sources qui le rendront verdoyant. Faire circuler l’air d’après la pluie sur ses dunes frissonnantes d’impatience. Cet air qui nous raconte bien des histoires, des aventures d’hommes et de femmes que l’on a très bien connus. Des êtres qui nous ont guidés au delà de ce que nous étions et qui ont su faire refleurir les forêts brûlées qui nous dévastaient. Et puis bien sûr, les vauriens ressurgissent des profondeurs de la mémoire avec leur cortège de douleurs trop subtiles à panser. Toute cette foule apparaît puis disparaît à travers ce flottement comme une onde qui s’évanouit dans le lac de nos sensibilités pour résonner sur les terres de nos chairs.


Après la pluie, la terre respire tout ce passé que nous ne sommes déjà plus et qui sait si bien nous emprisonner dans nos instants de faiblesses. Et puis ce parfum d’avenir indéfinissable, ce futur dans le lequel on va se plonger le cœur plein d’espoir mêlé d’appréhension. Pas encore tout de suite, dans quelques instants, juste le temps de savourer la vie au présent. Cette vie qui s’offre à nous - sans fard, les cheveux au vent - mouillée par l’orage qui la secoue et la rend belle. Cette existence si savoureuse… après la pluie.


Bien qu’elle ne comprenne pas toutes les images qu’elle vient de lire, Lylou, se sent transportée. Saisissant son pinceau et ses peintures, inondée par sa sensibilité, elle libère le torrent bondissant des émotions sur sa page. Un surprenant delta se dessine sous ses yeux.

2 commentaires:

Aimache a dit…

Bel épisode !
J'aime l'ambiance, le lyrisme et les jolies formules.
J'aime énormément le titre, qui synthétise si bien les méandres du texte et des idées exprimées.
J'aime les imbrications entre texte et image, entre un épisode et les autres.

ALA a dit…

J'aime ce texte "après la pluie" !
L'écriture est profonde, vibrante, elle touche au coeur, elle est là et nous transporte.
Ce texte est vraiment très beau.
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une mise en musique ?
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